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par K. Matsuura
Koïchiro Matsuura est directeur général de
l'Unesco.
Publié le 11 janvier 2007
L'espèce humaine, la planète, la cité savent désormais qu'elles sont
peut-être mortelles. Certes, l'humanité ne vit pas sa première crise
écologique. Mais nous vivons sans doute la première crise écologique
mondiale d'une telle ampleur. Que faisons-nous pour préserver l'avenir de la
Terre et de la biosphère ? Quels sont les défis à relever ? Quelles
solutions proposer ? Nous venons de discuter de ces questions aux Dialogues
du XXIe siècle que nous avons tenus à l'Unesco sur le thème « Quel avenir
pour l'espèce humaine ? Quel futur pour la planète ? », avec le concours
d'une quinzaine d'experts de premier plan.
Le changement climatique et le réchauffement climatique, tout d'abord. La
planète pourrait se réchauffer de 1,5 à 5,8 °C d'ici à 2100. Un tel
réchauffement climatique menace de nombreuses parties du monde et risque de
susciter davantage de catastrophes, telles la submersion d'États insulaires
ou de régions côtières et la multiplication des tempêtes tropicales.
La désertification, ensuite. Elle affecte déjà un tiers des terres de la
planète. À la fin du XXe siècle, elle menaçait près d'un milliard de
personnes vivant dans 110 pays. Ce chiffre pourrait doubler d'ici à 2050 :
elle toucherait alors 2 milliards d'individus. La déforestation, elle aussi,
se poursuit, alors même que les forêts primaires et tropicales abritent la
plus grande part de la biodiversité mondiale, contribuent à lutter contre le
changement climatique et freinent la dégradation des sols. La pollution de
l'air, de l'eau, des océans et des sols et la pollution chimique et
invisible menacent toute la biosphère. La Banque mondiale évalue ainsi à
1,56 million de morts par an le prix que l'Asie paye à la pollution
atmosphérique. Comment ne pas mentionner également la crise mondiale de
l'eau ? Deux milliards d'individus devront faire face à des pénuries d'eau
en 2025 et sans doute 3 milliards en 2050.
Enfin, la biodiversité est en danger : les espèces s'éteignent à un rythme
cent fois supérieur au taux naturel moyen, et 50 % d'entre elles pourraient
disparaitre d'ici à 2100. Or, la biodiversité est essentielle au cycle de la
vie, à la santé humaine et à notre sécurité alimentaire.
Cette situation est lourde de risques de guerres ou de conflits et appelle
des réponses globales. Le développement durable nous concerne tous et
s'impose comme une condition vitale d'une lutte efficace contre la pauvreté,
d'autant que ce sont les plus pauvres qui souffriront le plus des
sécheresses et autres catastrophes naturelles à venir.
Mais aujourd'hui, nous comprenons que la guerre à la nature est une guerre
mondiale. Tel est le sens du rapport Stern sur les conséquences économiques
du changement climatique. L'humanité devrait ainsi se préparer à une baisse
de 5 à 20 % du PIB mondial d'ici à 2150 et payer une facture de 5 500
milliards d'euros, si elle n'engage pas dès maintenant des actions pour
lutter contre le réchauffement climatique.
Trop cher, le développement durable ? C'est en fait l'inertie qui nous ruine
! Javier Pérez de Cuéllar a lancé aux Dialogues du XXIe siècle un clair
avertissement : « Comment pouvons-nous savoir, et ne pas pouvoir ni vouloir
? »
Il nous faut à présent répondre avec courage et lucidité à des questions
difficiles. On ne pourra plus, à l'avenir, opposer le développement durable
et le développement tout court, la lutte contre la pauvreté et la
préservation des écosystèmes. Il va falloir lutter sur tous les fronts à la
fois. Il nous faudra également inventer de nouveaux modes de développement
et de consommation beaucoup plus sobres. Car, comme l'a souligné Haroldo
Mattos de Lemos aux Dialogues du XXIe siècle, « l'humanité ne vit plus des
intérêts de la nature, mais de son capital ». Il ne s'agit évidemment pas
d'arrêter la croissance, mais, comme l'a suggéré Mostafa Tolba, de la
modifier en la dématérialisant le plus vite possible, c'est-à-dire en
réduisant la consommation de matières premières dans chaque domaine de la
production. Il faudra aussi sensibiliser davantage, dans le respect des
mesures prescrites par le protocole de Kyoto, aux effets dévastateurs
potentiels du réchauffement climatique. |
Il conviendra également de promouvoir un droit
à une eau saine et potable, et établir pour cela les fondements d'une
gouvernance éthique de l'eau, qui permette à la fois de maîtriser et de
mieux gérer la demande, d'économiser, de traiter et de recycler l'eau, tout
en améliorant sa qualité.
L'Unesco est activement engagée sur de multiples fronts pour promouvoir des
politiques de l'eau durables, pour favoriser l'éducation dans ce domaine et
pour encourager une protection globale de la biodiversité, notamment par le
biais de son réseau mondial de « réserves de biosphère » qui sont devenues
de véritables laboratoires d'expérimentation pour la conservation des
écosystèmes et l'utilisation rationnelle des ressources naturelles au niveau
local.
Je pense également aux nombreuses actions que nous menons au Sud pour aider
à la formation de cadres spécialisés, tant il est vrai que les
professionnels formés et les décideurs compétents conscients des liens entre
l'eau, la pauvreté, la santé, la culture et le développement font
cruellement défaut. La dimension culturelle et l'éducation sont souvent
oubliées dans la réflexion et les politiques en matière d'environnement : or
l'éducation et la culture sont deux clés essentielles de tout développement
durable.
Un vaste débat s'est engagé, dans le cadre de la réforme du système des
Nations unies, sur la gouvernance de l'environnement au niveau mondial et
sur la nécessité d'une meilleure coordination des efforts de tous. Je suis
moi aussi convaincu qu'il faut remédier à la fragmentation dont souffrent
souvent les activités du système des Nations unies relatives à
l'environnement. Dans nos efforts pour améliorer la coordination, nous
devons cependant veiller à prendre appui sur les mécanismes qui existent
déjà et qui fonctionnent bien.
L'Unesco prend une part active à ce débat : notre rôle est dicté par notre
mandat, par le E de éducation, le S de science et le C de culture et de
communication : je rappelle à ce propos que l'Unesco met en oeuvre quatre
programmes scientifiques internationaux majeurs sur l'environnement : celui
sur les océans, celui sur l'eau, celui sur l'homme et la biosphère et celui
sur les géosciences. Elle le fait en pleine coopération avec les Nations
unies et avec le Programme des Nations unies pour l'environnement.
Le succès d'ONU-Eau, qui rassemble 24 institutions et organismes du système
des Nations unies, dont l'Unesco, offre un bon exemple de coopération
fructueuse. De plus, l'Unesco joue le rôle de chef de file pour le Programme
mondial pour l'évaluation des ressources en eau, et pour la Décennie des
Nations unies pour l'éducation au développement durable.
Mettre un terme à la guerre à la nature requiert aujourd'hui une nouvelle
solidarité avec les générations futures. Pour ce faire, faut-il que
l'humanité conclut un nouveau pacte, un « contrat naturel » de
co-développement avec la planète et d'armistice avec la nature ?
Sachons faire prévaloir une éthique du futur si nous voulons signer la paix
avec la Terre. Car la planète est notre miroir : si elle est blessée ou
mutilée, c'est nous qui sommes blessés et mutilés. Pour changer de cap, nous
devons créer des sociétés du savoir pour combiner la lutte contre la
pauvreté, l'investissement dans l'éducation, la recherche et l'innovation,
en posant les fondements d'une véritable éthique de la responsabilité.
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