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article dans cette page : Le pollen de
la graminée voyage et le transgène aussi


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LE MONDE | 21.09.04 | ARTICLE
PARU DANS L'EDITION DU 22.09.2004
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Les États-Unis sont les
champions du monde des plantes transgéniques. Ils en ont cultivé 42,8
millions d'hectares en 2003, soit 63 % du total mondial. Ils sont aussi
premiers en matière de golf, avec 16 324 parcours dénombrés en 2004 et 909
joueurs pour 10 000 habitants (Le Monde 2 du 11 septembre). Ces deux
activités devaient fatalement se rencontrer. C'est chose faite, avec
Agrostis stolonifera, une graminée utilisée comme plante fourragère, mais
qui constitue aussi la matière première des greens.
Ce végétal
a l'inconvénient d'être sensible aux mêmes herbicides que les mauvaises
herbes qui lui font concurrence sur les greens. Qu'importe, ont répondu
les agrochimistes : mettons au point une Agrostis transgénique capable de
tolérer le glyphosate, l'autre nom du Round Up - le célèbre herbicide
total de Monsanto - auquel plusieurs variétés de colza, maïs et coton
résistent après avoir été génétiquement modifiées.
Les sociétés
Monsanto et Scotts ont adressé début 2004 une demande de commercialisation
de l'"événement ASR368" de cette graminée transgénique à l'administration
américaine. L'Union des scientifiques inquiets (UCS) a aussitôt répliqué,
indiquant que sa mise en culture menaçait de transférer à d'autres
variétés - parmi lesquelles des mauvaises herbes - la résistance au fameux
herbicide. Et elle a demandé aussitôt au département de l'agriculture de
surseoir à toute autorisation.
Les résultats d'une étude de
diffusion du pollen d'Agrostis, publiée le 21 septembre dans les comptes
rendus de l'Académie des sciences américaine (PNAS), montrent que cet
appel à la vigilance n'était pas infondé. Une équipe de chercheurs de
l'Agence pour la protection de l'environnement et de l'US Geological
Survey a en effet constaté que le pollen du stolonifera transgénique
pouvait féconder des plantes situées jusqu'à 21 km des parcelles
"sources". Les hybrides ainsi obtenus présentaient une résistance au
glyphosate.
"La majorité des flux de gènes se situent à une
distance de deux kilomètres sous le vent dominant, écrivent Peter Van de
Water et ses collègues. Les distances maximales observées sont
respectivement de 21 km et de 14 km pour les plantes sentinelles et
résidentes." Pour mesurer ces flux de gènes, les chercheurs ont en effet
utilisé des plantes témoins. Certaines, les sentinelles, étaient placées
dans des parcelles éloignées de champs d'Agrostis, afin de minimiser les
pollinisations avec des plantes conventionnelles. D'autres, les
résidentes, étaient laissées dans leur environnement habituel.
L'échantillon étudié comprenait aussi des Agrostis gigantea, une
cousine de stolonifera, et Polypogon monspeliensis, d'un genre différent.
Si aucun croisement n'a été enregistré avec cette dernière - sa floraison
était intervenue trois semaines après celle de stolonifera -, des gigantea
transgéniques ont bien été obtenues fortuitement.
"La surprise
vient des taux de contamination de cette espèce voisine, qui pousse sur
les bords des champs cultivés et est considérée comme une mauvaise herbe",
indique Christian Huyghe, chef de l'Unité de recherche prairies et
fourragères de l'Institut national de recherche agronomique (INRA). "Le
taux de franchissement de la barrière spécifique est très inquiétant",
ajoute-t-il. Le chercheur est aussi préoccupé par la taille de la zone
contaminée : 310 km2. Il estime que si gigantea a été contaminée, il en
ira de même d'autres espèces d'Agrostis, indésirables pour certaines. "On
assiste clairement à une fuite du transgène dans pas mal de compartiments
de la biodiversité locale", s'inquiète-t-il.
Le fait que le pollen
de stolonifera vole sur de longues distances est dans l'ordre des choses :
cette plante est allogame, c'est-à-dire qu'elle ne peut s'autoféconder.
Elle produit donc énormément de pollen qui, très léger, est dispersé par
le vent - raison pour laquelle elle est dite anémophile, par opposition
aux entomophiles, dont le pollen est transporté par les insectes. Le maïs
et le colza sont eux aussi allogames. Mais leur pollen est plus lourd et
les rares études font état de transports limités à quelques centaines de
mètres, voire quelques kilomètres.
"Dans le cas des graminées, il
y a une certitude de dissémination large, insiste Christian Huyghe. C'est
la raison pour laquelle il a été décidé de ne pas faire de graminées
transgéniques en France, où l'on trouve partout des variétés naturelles
avec lesquelles elles pourraient se croiser." Certaines entreprises
européennes ont cependant investi dans ce secteur, étudiant notamment le
raygrass anglais, pour faire en sorte qu'il ne fleurisse plus, ce qui
aurait l'avantage d'augmenter son rendement énergétique. D'autres travaux
visent, dans les plantes fourragères, à abaisser le taux de lignine, un
composant à faible valeur nutritive.
Mais les plus actifs sont
sans conteste les Etats-Unis. Dans le dossier d'autorisation américain,
Monsanto n'évoque même pas les risques liés aux flux de gènes. Le
protocole expérimental en atteste, puisque la source de la contamination
totalisait 160 hectares de stolonifera transgénique. "Ce qui suppose au
préalable trois ou quatre générations de multiplication des semences",
calcule Christian Huyghe. Selon lui, les chercheurs américains "ne
découvrent pas le phénomène. Mais désormais, ils le mesurent". Une
attitude aux antipodes des pratiques du Vieux Continent : "Le principe de
précaution, dit-il, ils ne connaissent pas."
Hervé Morin
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ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU
22.09.04 |